Jean Malaquais

MALAQUAIS Jean, pseudonyme littéraire de MALACKI Vladimir

 

Né en 1908 en Pologne, immigré en France, mineur, débardeur aux Halles, écrivain découvert par André Gide, prix Renaudot, auteur des Javanais; exilé au Mexique pendant la deuxième guerre mondiale; après la guerre, enseignant dans les universités américaines; ami de l’écrivain Norman Mailer; traducteur de Marx. Il joua un rôle important dans la mouvance communiste des conseils française et internationale, comme sympathisant actif. Mort, citoyen américain, à Genève en 1998

Jean Malaquais - de son vrai nom Vladimir Malacki - est né à Varsovie le 11 avril 1908 dans une famille polonaise d’extraction juive mais non croyante. Son père, professeur de lettres, était un amoureux des livres. Sa mère était une militante socialiste du Bund juif internationaliste qui s’était développé en Pologne. Sa famille disparaîtra dans les camps hitlériens pendant la deuxième guerre mondiale.

En 1926, le bac en poche, il décida de quitter Varsovie pour la France. Il y travailla comme ouvrier; notamment dans les mines de Provence (La Londe-les-Maures). De cette expérience au milieu des étrangers parias et damnés de la terre, il tira la matière de son livre : Les Javanais, prix Renaudot 1939.

Il s’intéressa vite aux idées révolutionnaires. Le stalinisme le dégoûtait tout autant que l’ambiance nationaliste et xénophobe régnant en France. Il gravita autour de la Ligue communiste trotskiste dirigée par Alfred Rosmer, Pierre Frank, Pierre Naville (voir ces noms), mais ne s’y engagea pas à la différence de son ami Marc Chirik. (Voir ce nom.). Vers 1933, Vladimir Malacki, qui se faisait appeler Jean Malaquais (comme un quai de Paris), prit contact avec les groupes révolutionnaires à gauche du trotskisme : l’Union communiste de Henri Chazé (Gaston Davoust [voir ce nom]), les bordiguistes italiens - regroupés autour des publications Prometeo et Bilan - immigrés en France et Belgique (Ottorino Perrone, Otello Ricerri, Bruno Zecchini) [voir ces noms]).

Dans la dèche à Paris, il fit tous les métiers, y compris celui de débardeur aux Halles, sans avoir de domicile fixe. A la Bibliothèque Sainte-Geneviève, où il se réfugiait, il lit Céline et Gide. Un soir de 1935, il tomba soudainement sur ces lignes de Gide : "Je sens une infériorité de n’avoir jamais gagné mon pain". Jean Malacki, scandalisé, lui écrivit pour lui parler des conditions de ceux qui n’avaient pas de toit et vivaient dans la misère au jour le jour. Gide lui répondit à la poste restante de la rue Cujas, Malaquais n’ayant pas d’adresse, et lui envoya 100 francs, qui lui furent retournés. Il rencontra enfin André Gide à son domicile : " — C’est toi Malacki ? ". " — C’est toi Gide ? " Personne n’avait osé tutoyer le grand écrivain. Flairant vite un écrivain doué, passionné et riche d’une expérience de paria, Gide lui donna de l’argent qui lui servit à louer une maison en province, tout le temps nécessaire à l’écriture de son roman Les Javanais. Ce livre social sur l’immigration dans la France xénophobe des ligues d’extrême droite et du préfet Chiappe fut d’abord refusé par Gallimard, puis publié chez Denoël en 1939. Couronné par le prix Renaudot en 1939, le roman fut traduit dans plusieurs langues.

En août 1936, il partit en Espagne lorsqu’éclatèrent la révolution et la guerre civile; il prit contact avec les milices du POUM et la colonne Lénine, dirigée par des dissidents bordiguistes italiens comme Enrico Russo (Candiani [voir ce nom]). Il rencontra Kurt Landau, trotskyste autrichien, qui sera bientôt assassiné par le GPU, Andres Nin, théoricien du POUM et autre victime du GPU; et Gorkin, chef du POUM, qu’il retrouva et côtoya à Mexico pendant la guerre. Il eut le malheur de se retrouver un jour face à Ilya Ehrenburg, écrivain stalinien promu chef de brigade internationale. Il fut à deux doigts d’être exécuté comme ‘agent fasciste’ et provocateur. Il réussit à retourner en France, en septembre-octobre 1936. Il noua des liens avec Ante Ciliga et surtout Victor Serge, tous deux échappés du Goulag stalinien.

En septembre 1939, Jean Malaquais, bien qu’apatride, fut mobilisé. Pendant la Drôle de guerre, il remplit ses carnets de ses impressions au fil des jours, dans un style sarcastique, rebelle et iconoclaste : ses humeurs de rebelle internationaliste, allergique à l’idée de patrie, deviendront ses Carnets de guerre. Prisonnier en mai 1940 il réussit à s’évader. Il rejoignit Marseille, avec sa compagne russe Galy, peintre. Il survécut de 1940 à 1942 de petits travaux. Dans la cité phocéenne, s’entassaient des écrivains fuyant le nazisme . Tous attendaient un hypothétique visa pour les Amériques, obtenu grâce au Comité américain d’aide aux intellectuels dirigé par Varian Fry : André Breton, Benjamin Péret, Victor Serge faisaient partie du lot. Il travailla dans la coopérative le "Croque-Fruit" dirigée par des trotskistes – comme Sylvain Itkine et Marcel Bleibtreu (cf. ces noms) – et fournissant un emploi à toutes catégories d’apatrides, Juifs, trotskistes et internationalistes. Avec son ami Marc Chirik, il dénonça l’exploitation dans la coopérative ouvrière. Il reçut son compte. Marc Laverne (pseudonyme de Chirik), qui se fit licencier avec lui, fut le héros principal de son second roman publié en 1947 : Planète sans visa. Stepanoff, l’autre héros du roman, avait pour clef le Russe Victor Serge. Smith était l’Américain Fry, se dévouant pour sortir de la nasse marseillaise tous les réfugiés promis aux camps de concentration vichystes et hitlériens.

Jean Malaquais fut hébergé à Banon (près de Manosque) par Jean Giono en attente d’un hypothétique visa pour les Amériques. Ce visa il l’obtiendra par chance grâce à Varian Fry. Gide, surtout, lui arrangea un passage sur un bateau en direction du Venezuela. En octobre 1942, Jean Malaquais passa en Espagne ; de Cadix, il réussit avec Galy à gagner par bateau le Venezuela. Il trouva par hasard de l’aide auprès d’une riche famille catholique, philanthrope, les Schlumberger, qui contribuaient anonymement à un Fonds d’aide aux réfugiés espagnols antifranquistes, et même subvenaient aux besoins de la veuve de Trostsy, sans ressources. De Caracas, il partit pour le Mexique.

En 1943, il vécut à Mexico, rencontrant et fréquentant Victor Serge, André Breton, Benjamin Péret, Marceau Pivert et Munis (Voir ces noms.). Il dénonça farouchement la "guerre impérialiste dans les deux camps". Il rédigea ses "Carnets de guerre" qui partant de la Drôle de guerre dénoncaient toute forme de patriotisme et de chauvinisme. Il fréquenta le couple Alice et Otto Rühle avant leur suicide, et soutint l’écrivain allemand Gustav Regler, accusé par le parti communiste mexicain – comme Munis, Serge et Gorkin – de faire partie d’une " troisième colonne fasciste ". Il donna des conférences à l’Institut Français d’Amérique Latine (IFAL), à Mexico, dont Marceau Pivert (voir ce nom), son ami d’exil, était le secrétaire général. Il écrivit - tout comme Benjamin Péret - dans la revue surréaliste d’Octavio Paz : El hijo prodigo. Cependant, Jean Malaquais fit face à des attaques de Benjamin Péret et surtout de Victor Serge. Avec ce dernier, son amitié se brisa : attaqué publiquement, tout comme Marceau Pivert, par Victor Serge, il rompit avec lui.

Jean Malaquais chercha à gagner New York, où ses Carnets de guerre furent édités par la Maison française. Le vice-consul américain à Mexico, grand amateur d’art, fit en sorte qu’il puisse gagner les USA et New York, bien que ses demandes de visa aient été rejetées.

En 1946 il se vit octroyer un visa pour les USA. Il rencontra Boris Souvarine, mais sans apprécier son évolution politique. Il fit connaissance avec Albert Camus, séjournant à New York. Ce fut aussi le début d’une longue amitié et d’une collaboration avec l’écrivain américain Norman Mailer (auteur de Les Nus et les Morts, roman qu’il traduira lui-même en français), avec lequel il écrivit pour un temps des scenarii pour Goldwyn Mayer.

En 1947, de retour à Paris, il fréquenta le groupe communiste de gauche issu du bordiguisme "Internationalisme", dirigé par Marc Chirik, groupe politique de discussion auquel participèrent un temps Maximilien Rubel, Louis Evrard et Serge Bricianer (cf. ces noms dans le Dictionnaire).

Il retourna aux USA fin 1947 et y enseigna la littérature européenne jusqu’en 1968, sans être rattaché à une université et en qualité de visiting professor. On lui donna, alors qu’il se considérait fièrement comme un métèque et un apatride, la nationalité américaine, en gardant son nom de plume. Aux USA, il se lia d’amitié avec le théoricien communiste des conseils Paul Mattick, mais aussi avec Raya Dunayevskaya du groupe News and Letters, le philosophe allemand Herbert Marcuse. Sans être militant et en restant de tendance communiste libertaire et internationaliste indépendant, il demeura en contact avec des penseurs communistes des conseils européens comme Maximilien Rubel en France, Anton Pannekoek et Henk Canne-Meyer aux Pays-Bas.

De 1954 à 1960, sous la direction du philosophe existentialiste Jean Wahl, et pour combattre l’utilisation qui en était faite par Sartre, il entreprit une thèse sur Kierkegaard, allant jusqu’à apprendre le danois et à séjourner à Copenhague. Cette thèse fut partiellement publiée.

Lorsqu’il séjourna à Paris dans les années 60, il participa aux réunions du groupe de Maximilien Rubel, centré sur les "Cahiers pour le socialisme des conseils". Maximilien Rubel le chargea de traduire des ouvrages de Marx pour la collection "La Pléiade".

Au retour de deux années d’enseignement à l’université Monash de Melbourne (Australie), en 1967-68, il se trouva plongé dans les événements de mai 68 à Paris, qui l’enthousiasmèrent. Il se retrouva naturellement en discussion avec des groupes communistes de conseils ou antiautoritaires. Il retourna s’installer aux USA en 1969, non sans faire des séjours réguliers en France, qui furent autant d’occasions de fréquenter tous les groupes antiautoritaires.

La grève de masse des ouvriers polonais en août 1980 l’incita à se rendre en Pologne, à Gdansk et Varsovie, et à discuter avec les ouvriers du nouveau syndicat Solidarnosc ("Solidarité").

A partir du milieu des années 80, Jean Malaquais s’installa à Genève avec sa seconde femme, Elisabeth. Il garda des contacts avec Paris, et s’y déplaça souvent pour porter la contradiction aux certitudes de petits groupes "ultragauches", dont il adoptait sinon les positions, du moins un rejet viscéral du mythe de la Russie socialiste, et de toute forme d’Etat. Sans appartenir à un groupe, Jean Malaquais demeura un point de liaisons dans ce qui est qualifié de courant ‘ultragauche’.

Les années 1996-1998 après un désintérêt de l’édition française pendant presque 50 ans pour son œuvre, furent l’occasion d’une republication de certains de ses livres, témoignage dans le siècle de la résistance d’un métèque allergique à toute forme de patriotisme.

Jean Malaquais est mort à Genève le 22 décembre 1998, peu après avoir entièrement revu et corrigé son ouvrage majeur : Planète sans visa, réédité en avril 1999. Ses cendres furent dispersées en Provence, sur les lieux de la mine où il avait travaillé comme paria, comme "Javanais".

Philippe Bourrinet.

ŒUVRE :

Les Javanais, Editions Denoël, Paris, 1939. (Réédition corrigée, Editions Phébus, Paris, 1995 ; Phébus Libretto, 1998.)

Journal de guerre, Editions de la Maison Française, New York, 1943. (Réédition, avec un inédit : Journal de guerre, suivi de Journal du métèque 1939-1942, Phébus, Paris, 1997.)

Deux nouvelles de Jean Malaquais, in Les Œuvres nouvelles 2, Editions de la Maison Française, New York, 1943.

Le Gaffeur, Buchet-Chastel, Paris, 1953.

Søren Kierkegaard : Foi et Paradoxe, 10/18, UGE, Paris, 1971.

Planète sans visa, Le Pré aux Clercs, Paris, 1947. Réédition avril 1999, Phébus, Paris, avec une introduction de Norman Mailer.

Le nommé Louis Aragon ou le patriote professionnel, "Les Egaux", supplément à Masses, février 1947, n° 7. Réédition, éditions Syllepse, collection "Les Archipels du surréalisme", décembre 1998.

Correspondance (1935-1950) d'André Gide et Jean Malaquais. Edition annotée et préfacée par Geneviève Nakach et Pierre Masson, Phébus, Paris, 2000.

SOURCES :

Léon Trotsky, "Un nouveau grand écrivain : Jean Malaquais", 7 août 1939, Coyoacan, Oeuvres t. 21, ILT, 1986; in Littérature et révolution, 10/18 UGE, Paris, 1964, 10 p.

Victor Serge, Carnets, Actes Sud, Arles, 1985, 180 p.

Léon Trotsky, [Faire connaître le roman], à J. Malaquais, 9 août 1939, Coyoacan, Oeuvres t. 21, ILT, 1986.

- archives Marceau Pivert (Centre de recherches d’histoire des mouvements sociaux et du syndicalisme [CRHMSS], Paris-I); archives Victor Serge (Yale University Library, Series I, Correspondence); archives Marc Chirik, correspondance avec Jean Malaquais ; lettres de Jean Malaquais à André Gide, Bibliothèque Doucet ; Institut d’Histoire sociale d’Amsterdam (IISG), correspondance avec la CSI (Commission Socialiste Internationale), Michael Fraenkel, Victor Serge, avec copies de lettres de Victor Serge à la CSI, concernant son conflit avec ce dernier (consultable depuis le décès de Jean Malaquais).

Revolutionary History (printemps 1999, Londres),'Culture and Revolution in the Thought of Leon Trotsky', "An Interview with Jean Malaquais".

- vidéo : Norman Mailer et Jean Malaquais, 55 minutes, "Arte", Encounter 7, 1994.