Marlen Insarov

 

La nouvelle guerre imperialiste et la politique de classe proletarienne*

 

 

La guerre en Tchetchenie est une guerre usurpatoire de l'imperialisme russe qui a pour but de reprendre le controle du nord Caucase et de ses pipe-lines. Cette guerre, en creant une hysterie patriotique, attire le proletariat russe dans le piege de l'union nationale en renforcant et intensifiant l'Etat bourgeois russe.

Un scenario cousu de fil blanc s'efforce de presenter les actions bandito-terroristes de l'armee et de l'aviation russe qui raye de la surface de la terre les villages tchetchenes, en tuant des dizaines de gens et en en chassant des centaines de milliers de leur region natale, comme une lutte contre le terrorisme, comme une reponse aux explosions de Moscou. Ce scenario n'appelle que le mepris face a l'Etat bourgeois avidement patriotique, peureux et lache, incapable (...) de brigander ouvertement sans avoir au prealable cuisine quelque provocation pour se justifier. Il suffit de se poser une question: pour qui les explosions a Moscou, Bouinaksk et Volgodonsk etaient-elles avantageuses et la reponse quand au coupable de ces explosions sera evidente. Quel profit pouvaient tirer les terroristes (...) des explosions des maisons de proletaires en Russie? - Aucun. Quel profit a tire de celles-ci la bourgeoisie russe et son Etat? Un profit immense: les explosions ont cree un pretexte ideal pour une nouvelle agression en Tchetchenie, ainsi qu'une atmosphere de panique et de sabbat nationaliste qui a permis la realisation de cette agression sans difficultes.

Il est incorrect de penser, que la guerre est menee uniquement "par le regime eltsinien", "par la clique du Kremlin" etc., comme le fait non seulement l'opposition bourgeoise, mais encore certains gens qui se disent marxistes (voir l'article de I. Lokha "Une petite guerre victorieuse" dans "De la democratie Ouvriere", n II/57). Le coupable principal de la guerre n'est pas "le regime eltsinien", mais tout l'appareil bourgeois; la guerre n'est pas menee en premier lieu dans les interets de la "clique du Kremlin" (bien que ce dernier tente avec un grand succes d'en tirer les dividendes), mais de la classe bourgeois russe dans son ensemble. Ceci peut etre illustre par le fait que, a la difference de la guerre de 1994-96, toutes les factions un peu serieuses de la bourgeoisie, des liberaux jusqu'aux fascistes, y compris les "communistes" (fideles a la patrie bourgeoise), soutiennent de long en large la guerre. Et meme ceux qui, comme le bloc Loujkov, sont mecontents du fait que la clique gouvernante a massacre leur marchandise sur le marche de la competition patriotique, critiquent n'importe quels details de la conduite de la guerre et ne proposent a leur tour que le durcissement de celle-ci et de nouvelles repressions contre les emigrants de Tchetchenie, du nord Caucase et de la CEI qui vivent en Russie, c'est a dire des ouvriers et des petits commercants.

La bourgeoisie russe s'interesse a la guerre tant pour des raisons economiques que politiques:

1) Pour garder le controle des pipe-lines qui traversent le nord Caucase, pipe-lines par lesquels passent les petroles des plus grands gisements du monde, ceux de la mer Caspienne et du Caucase; empecher les concurrents etrangers d'acceder a ceux-ci;

2) Pour pouvoir, en attisant les furies du desaccord inter-ethnique et "de l'interet national", detourner les ouvriers de la voie de la lutte des classes vers celle de l'union nationale interclassiste patronnee par l'Etat soi-disant au-dessus des classes; utiliser la situation militaire pour renforcer les repressions contre le mouvement ouvrier, pour renforcer l'Etat bourgeois, son armee et ses services speciaux. C'est precisement les interets de classe de la bourgeoisie russe, presentes par elle comme "nationaux", qui ont provoque la guerre. Et tant que la bourgeoisie restera au pouvoir, tant que les ouvriers unis par le parti universel de la revolution proletarienne ne renverseront pas le capitalisme et ne detruiront pas l'Etat bourgeois en etablissant la dictature internationale du proletariat, les guerres seront inevitables et des millions de gens periront au benefice des compagnies petrolieres et des credits alloues aux generaux des services speciaux.

A la difference de la guerre de 1994-96 ou en Tchetchenie il y avait un mouvement partisan des masses petites-bourgeoises et semi-proletariennes en grande partie incontrole par la bourgeoisie tchetchene, dans cette nouvelle guerre ne luttent que des soldats professionnels, les dessous de la societe tchetchene ne participent pas a la guerre, mais la fuient. Ceci est clairement du a la perte du caractere progressiste des mouvements bourgeois d'"emancipation nationale", incapables en cette fin de 20eme siecle non seulement d'ameliorer quelque peu la situation des masses, mais aussi de creer un Etat bourgeois independant progressant sur la voie du capitalisme. Dans la guerre de 1994-96 les dessous de la societe tchetchene ont obtenu un semblant de victoire - l'independance reelle de la Tchetchenie, mais les veritables fruits de cette victoire ont profite aux dirigeants tchetchenes, l'independance de la Tchetchenie etait necessaire a leurs interets. La desillusion des dessous de la societe tchetchene face a la Tchetchenie independante, face a l'absence dans le monde d'un mouvement de classe proletarien capable d'indiquer la sortie de l'impasse du nationalisme c'est a dire la voie de la revolution proletarienne, cette desillusion a mene a la demoralisation et a l'apathie.

La position que doivent adopter les revolutionnaires proletariens face a la guerre en Tchetchenie est la seule position possible des revolutionnaires proletariens dans les conflits inter-imperialistes depuis 1914: le defaitisme revolutionnaire dans les deux camps et l'appel a la transformation de la guerre imperialiste en guerre civile, appeler les soldats russes et tchetchenes a tourner leurs fusils contre leurs maitres. Mais puisque l'ennemi principal du proletaire est le bourgeois de son propre pays et puisque dans les conflits inter-imperialistes la defaite de l'imperialisme le plus fort est favorable a la lutte du proletariat, les revolutionnaires proletariens russes doivent considerer la defaite de l'armee russe comme un moindre mal en comparaison de sa victoire.

L'appel a la transformation de la guerre imperialiste en guerre civile n'est pas destine a un succes immediat. Le debut de la guerre imperialiste est toujours accompagne de l'asphyxie nationaliste, mais plus longue est la guerre, plus le degrisement est fort. Les formules magiques utilisant "l'idee nationale" ne combleront jamais le fosse entre le proletariat et la bourgeoisie: pour nourrir les affames, les canons ne remplaceront jamais le pain. Qu'a la tete de l'Etat bourgeois il y ait Eltsine ou Ziouganov, Putine ou Primakov il restera le serviteur des exploiteurs et l'ennemi des exploites. En fait, le remplacement de la politique liberale par une politique national-patriotique ne pouvait, et n'a rien donne au proletariat russe, excepte de nouvelles (...) larmes et privations. Et avec chaque nouveau jour de guerre la quantite de sang, de larmes et de privations va grandir, mais avec elles grandiront aussi l'indignation, la haine et la resolution des proletaires. Apres 1914 il y a eu 1917: a la guerre usurpatoire des rapaces bourgeois succede la seule guerre juste, la seule guerre sainte, la guerre civile du proletariat contre la bourgeoisie.

Le capitalisme porte en lui la guerre, comme le nuage porte l'orage. La guerre est le dernier moyen non seulement pour eclaircir les relations entre les diverses bandes bourgeoises (qui se denomment Etats), mais aussi pour maintenir sous leur pouvoir de classe le travail et les privations du proletariat, fondements de tout le systeme capitaliste. Seul le proletariat organise en force independante de classe hostile a toutes les factions de la bourgeoisie, ayant renverse a l'echelle mondiale le pouvoir du capital et etabli sa dictature, pourra en finir pour toujours avec les guerres et leur cause premiere - le capitalisme, ce systeme criminel qui supprime des dizaines de millions de gens dans les guerres mondiales et locales du vingtieme siecle, ce systeme qui cache sous les oripeaux de la "democratie" et de l'"humanisme" sa monstrueuse avidite et qui ne s'arrete devant aucun crime.

 

* Texte du Groupe de révolutionnaires collectivistes prolétariens(GRC), Russie