L'Ouvrier communiste, Paris, n° 6, 1930.

 

Russie

La déclaration de Rakovski et les trois critères trotskistes

(On trouvera ici les passages essentiels d'une lettre où G. Miasnikov développe contre l'opposition capitularde la critique du Groupe ouvrier russe.)

Le sujet principal du Bulletin de l'opposition n° 6 est toujours cette Déclaration de l'Opposition à laquelle Trotski a donné son adhésion.

En quoi consiste le fond et le sens politique de cette Déclaration? Pour bien comprendre cette question, il faut se reporter au numéro 1 du Bulletin, dans lequel Trotski dit : "Je compte trois questions classiques qui donnent le critérium décisif pour l'estimation des tendances du communisme mondial : 1° politique du Comité anglo-russe; 2° Cours de la révolution chinoise; 3° Politique économique de l'URSS et ses rapports avec l'histoire de la construction du socialisme dans un pays isolé. Ce sont les critères scientifiques avec lesquels un prolétaire qui s'est un peu mêlé des questions sociales peut tout de suite déterminer les courants divers du communisme mondial."

Ainsi donc, chaque fois qu'on aura à déterminer les tendances on devra troubler le repos des cadavres, agiter les vieilles questions : 1° Comité anglo-russe; 2° Cours de la révolution chinoise, et, enfin, s'adresser au plan quinquennal de Staline dans lequel réside la politique économique de l'opposition. Ainsi nous avons, avec les trois critères, un instrument de précision scientifique et décisif! Si difficiles que soient les questions qui pourront se poser, nous pourrons déterminer où se dirigent tel courant, tel groupe, telle fraction. Il suffira de prendre les renseignements sur leur passé, selon le critère; voilà l'affaire faite, l'incident est clos… Si un groupe n'a pas commis de péché d'hérésie, dans les trois questions, il est indubitablement un groupe marxiste.

Staline et Cie ont pris ces critères à la fameuse opposition et ont même distancé Trotski. Si, oubliant le passé, on s'approchait de Staline, et qu'on jette sur lui la lumière des "trois questions", on verrait qu'il n'y a au monde de meilleur marxiste.

… Oublier le passé? - Les trotskistes ne veulent pas l'oublier. Quelle gent rancunière que ces trotskistes! Comme ils ne veulent en aucune façon oublier le passé, les trotskistes ont décidé… Ont-ils décidé de déclarer une lutte impitoyable? - Non pas! Mais d'adresser, au contraire, avec un grand soupir de repentir, leur déclaration de soumission.

Il s'agit d'une simple déclaration de soumission, sans ombre d'intention de plate-forme ou de programme. Ils n'ont pas de divergences de vue sensibles avec le parti, ils ne veulent pas former de fraction, mais se soumettre entièrement à la discipline du parti. Ils mettent en avant toutes les questions importantes sur lesquelles l'opposition se trouve d'accord avec le parti bolchevik, tout en ne cachant pas les divergences qui subsistent :

"Nous estimons - disent-ils - que les divergences qui restent, et dont la justesse sera vérifiée par l'avenir, ne peuvent pas justifier notre exclusion hors des cadres du parti. Elles peuvent entrer entièrement dans le programme et le cadre du parti. Elles sont là comme réponse aux questions que suscite le développement de la construction du socialisme. De plus, nous considérons comme dangereuse l'existence des fractions communistes, qu'elles soient ou non en dehors des limites admises du parti; aussi nous déclarons notre refus de poursuivre l'usage des méthodes de la lutte fractionnelle. Enfin nous acceptons de nous soumettre à la discipline du parti et à ses statuts qui garantissent à chaque membre le droit de défendre ses opinions communistes…"

Au total, Trotski fait rentrer sa fraction dans un programme qu'il ne considère pas comme précisément marxiste; il dénonce les fractions comme dangereuses et reconnaît toutefois au Leninbund de se considérer comme une fraction (numéro 5 du Bulletin de l'opposition) : "Il faut se rendre compte que le Leninbund est une fraction du parti et non pas un parti; de là découle une politique déterminée par rapport au parti bolchevik."

L'histoire du mouvement ouvrier russe n'aura pas connu d'opposition plus retentissante, mais elle n'en a pas connu non plus qui soit si dépourvue d'idéal.

La déclaration des trotskistes est une capitulation où les opposants se considèrent encore avec une certaine fierté. Mais la fierté ne tiendra pas longtemps, suivant le proverbe russe : "si tu ne tiens pas sur le cheval en empoignant la crinière, n'espère pas te maintenir en empoignant la queue". Il suffira que Staline fasse entrer, avec la grâce nécessaire, quelques opposants dans son cabinet, en libère d'autres des prisons, lève l'exil de Trotski et le rapatrie en URSS, pour que leur fierté tombe et que, comme Zinoviev, ils se mettent à ramper. Plus tard, Staline soufflera sur une menue divergence avec les capitulards, l'enflera au volume d'une plate-forme et l'ajustera au paragraphe 58 du code. Il est probable qu'alors ces opposants, ces hauts fonctionnaires qui ont déjà subi tant de tourments dans leurs prisons et leur exil feront alors le "nécessaire" pour ne pas s'exposer de nouveau à quitter leur cher milieu, pour aller pâlir de nostalgie loin de leur activité bureaucratique.

Au cas où Staline devrait attendre un moment avant d'ouvrir les portes de son cabinet et celles des prisons, on verrait bientôt apparaître une déclaration contenant moins de divergences et de "fierté". Ce que nous disons ici s'applique aux grands personnages. Mais il n'y a pas que de grands personnages dans l'opposition trotskiste, il y a beaucoup d'ouvriers. Ceux-là ne voudront pas suivre les chefs; après quelques hésitations, ils entreront dans les rangs du Groupe ouvrier. Voilà l'issue fatale de l'opposition des célébrités, au terme de sa voie tortueuse.

À bas l'opposition des célébrités!

Vive l'opposition des prolétaires du Groupe ouvrier!

 

G. MIASNIKOV.