Anton Pannekoek "Lutte de classe et nation" 1912

La brochure de Anton Pannekoek “Lutte de classe et nation" (1912) a porté sur les concessions Bauer au séparatisme nationaliste au sein de la social-démocratie autrichienne (qui a conduit à la scission du parti en fractions nationaux), tout en développant l'une des meilleures analyses du nationalisme, juste avant le déclenchement de la Première Guerre Mondiale. Nous présentons ici quelques extraits, qui peuvent encourager l'étude de l'ensemble de la brochure et une analyse plus approfondie du nationalisme actuel sous toutes ses formes et son combattement du point de vue de la classe ouvrière internationale. Bien sûr, toutes sortes de positions se sont avérées obsolètes par les changements annoncés par la Guerre Mondiale, comme celle du mouvement syndical et du caractère national du parti prolétarien.

Lutte de classe et nation

"Les « nations » dont il est question dans la lutte politique, qui luttent entre elles pour l'influence sur l'Etat, pour le pouvoir dans l'Etat (Bauer, § 19) ne sont rien d'autre que des organisations des classes bourgeoises (…) Le prolétariat n'a rien à voir avec ce besoin de concurrence des classes bourgeoises, avec leur volonté de constituer une nation. La nation ne peut signifier pour lui un privilège de clientèle, de postes, de possibilités de travail. Les capitalistes le lui ont fait comprendre d'emblée en important des ouvriers allophones. Mentionner cette pratique capitaliste n'a pas pour objet primordial de démasquer l'hypocrisie nationale, mais avant tout de faire comprendre aux ouvriers que sous la domination du capitalisme, la nation ne peut jamais être pour eux synonyme de monopole de travail. Et ce n'est qu'à titre exceptionnel qu'on entend parler, chez des ouvriers rétrogrades - tels les vieux syndicalistes américains - d'un désir de restreindre l'immigration. (…)

Dans la lutte syndicale, des ouvriers de nationalités différentes sont confrontés au même patron. Ils doivent mener la lutte en tant qu'unité compacte, ils en connaissent les vicissitudes et les effets dans la plus étroite des communautés de destin. De leur pays, ils ont emporté leurs différences nationales mêlées à l'individualisme primitif des paysans ou des petits bourgeois, peut-être un peu aussi de conscience nationale, mêlée à d'autres traditions bourgeoises. Mais toute cette différence est tradition du passé face à la nécessité de tenir bon maintenant en une seule masse compacte, face à la vivante communauté de combat d'aujourd'hui. Une seule différence revêt ici une signification pratique : celle de la langue ; toute explication, tout projet, tout renseignement doivent être communiqués à chacun dans sa propre langue. Lors des dernières grandes grèves en Amérique (celle des aciéries de McKees Rocks ou de l'industrie textile à Lawrence par exemple), les grévistes - un mélange disparate des nationalités les plus diverses, Français, Italiens, Polonais, Turcs, Syriens, etc. - se constituèrent en sections séparées selon la langue dont les comités siégeaient toujours ensemble et communiquaient simultanément les propositions à chaque section, dans sa propre langue, préservant ainsi l'unité de l'ensemble - preuve que malgré les difficultés inhérentes aux différences linguistiques, une étroite communauté de lutte prolétarienne peut être réalisée."


© "Left Disorder" 29-jul-16